La lettre de la CIB
ÉDITION SPÉCIALE PRIX CIB BÂTONNIER STASI
MARS 2024
Un rayon de soleil qui perce un ciel tourmenté
Le rôle du juge est de veiller au respect de la loi et des Droits fondamentaux. La hantise des juristes est qu’il ne soit plus en état de le faire.
L’histoire récente révèle que des tourbillons de violence peuvent balayer les institutions, priver le juge de son indépendance, ou encore de sa faculté d’expression. Pire encore, celui qui s’est emparé de la force publique, ignore alors avec arrogance la loi et les décisions du juge. Dans ce cas, l’arbitraire est la règle et la liberté, comme la sécurité, deviennent des illusions et des cauchemars.
Dans une période d’agitation extrême où les institutions vacillent, quel réconfort de pouvoir lire les décisions du Conseil constitutionnel du Sénégal rendues à propos de l’élection présidentielle.
Dans la première décision du 15 février 2024, saluée comme historique et salutaire, le Conseil constitutionnel juge « qu’il lui revient d’assurer la plénitude de ses fonctions au regard de l’esprit général de la Constitution et des principes généraux du droit », ce qui lui confère « compétence pour connaître de la contestation des actes administratifs participant directement à la régularité d’une élection nationale, lorsque ces actes sont propres à ce scrutin ». En conséquence de quoi, il invite le président de la République à fixer la date du scrutin dans les meilleurs délais.
Dans la deuxième décision du 5 mars, saisi pour une demande d’avis par le président de la République sur la date proposée pour la tenue des élections qui se tiendraient en dehors du cadre constitutionnel, le Conseil constitutionnel rappelle avec clarté et fermeté la règle selon laquelle la fixation de la date du scrutin au-delà de la durée du mandat du président de la République en exercice est contraire à la constitution.
Dans la troisième décision du 6 mars, le Conseil constitutionnel saisi par les candidats d’une demande en fixation de la date de l’élection présidentielle en dépit du refus du président de la République de fixer celle-ci rappelle sa jurisprudence : « ni le silence de la loi, ni l’insuffisance de ses dispositions ne l’autorise à s’abstenir de régler le différend ». « Il doit se prononcer par une décision en recourant, au besoin, aux principes généraux du droit, à la pratique, à l’équité et à toute autre règle compatible avec la sauvegarde de l’État de droit et de l’intérêt commun » et fixe la convocation du corps électoral pour le scrutin du 31 mars 2024.
Dans la quatrième décision du 15 mars, le Conseil constitutionnel, saisi en référé déclare irrecevables les requêtes qui avaient été présentées en suspension du calendrier fixé par décret présidentiel en exécution de l’avis donné le 5 mars en considérant que « la légalité des décrets organisant l’élection constitue une manifestation de la fonction gouvernementale dans son expression purement politique échappant au contrôle du juge de l’excès de pouvoir » alors que ses décisions s’inscrivent dans le cadre constitutionnel.
Alors qu’un vide politique était sur le point de créer un effondrement institutionnel, remettant en cause une jeune démocratie, le Conseil constitutionnel a, avec autorité et clarté, rappelé les exigences du droit et les a imposées.
La légitimité de ces décisions ne découle pas seulement de leur motivation. Elle est également acquise par la remarquable adhésion des citoyens à leur exécution. L’élection présidentielle s’est, en effet, tenue dans un consensus général.
Les juristes ont pris peur. Mais les voilà rassérénés par un juge qui assume, avec autorité et en toute indépendance, sa mission de dire le droit et de veiller au respect des institutions démocratiques.
Ces décisions ont valeur d’exemple pour tous les juges. Elles redonnent confiance aux citoyens dans leur justice pour garantir droits et libertés et assurer la paix sociale. Puissent les démocraties qui ont vacillé, s’en inspirer.